NOTRE HUILE D'OLIVE
FRAGMENTS DE RECOLTE
Au village, on ne parle plus que d'olives.
La récolte a commencé il y a un mois déjà et à Ceriana, village médiéval perché entre mer et montagne, un cortège de Piaggios chargés d'olives défilent du soir au matin dans la rue centrale.
Cette année - tout le monde en convient - est marquée par la douceur de l'huile.
Chacun a son explication mais c'est de la pluie dont il est le plus question. Toute la pluie qui est tombée cet été. Toute la pluie qui tombe encore et qui nous empêche de récolter aussi régulièrement que souhaité. C'est elle qui aurait comme dilué l'ardence de l'huile.
Moins de notes piquantes et pimentées donc. Mais cela laisse place à d'autres parfums plus subtils. Certaines de nos cuvées ont même un goût miellé de fleurs et sentent bon la promenade champêtre et printanière.
C'est aussi ça qui est fabuleux dans la confection d'un produit artisanal : chaque année nous découvrons le goût de notre huile qui porte l'empreinte du temps qu'il a fait, des vents, des orages, des rayons de soleil qui ont bercé la maturation des olives. Pas de goût neutre et standardisé. Mais des saveurs qui racontent des histoires de météo mais aussi de pollen, de fleurs et de baies qui murissent à coté de nos oliviers.
Car le goût de l'huile parle aussi du terroir, de la biodiversité environnante. Et chez nous, la nature est sauvage. Cette année, l'oliveraie était jonchée de parterres de violettes, d'achillées millefeuilles, de millepertuis, de trèfles et de pâquerettes. Loin des étendus tristes et monotones d'oliviers sous lesquels plus rien ne pousse, la nôtre a un sol bien vivant qui donne du caractère à
l'huile.
La récolte est un temps de retrouvailles avec nos arbres centenaires, que l'on peigne, un par un, au bâton en châtaignier ou à la gaule électrique.
Des amis et la famille viennent nous prêter main forte. Une précieuse aide qui fait de la récolte un moment de partage et de joyeux festins.
Certains arbres sont hauts et majestueux. Alors, il faut escalader leurs troncs rugueux et arriver à se percher là haut, tout là haut, pour atteindre leur cime. C'est là qu'on a souvent une vue imprenable sur la mer qui scintille en bas de la vallée. D'autres, plus policés, se laissent récolter entièrement depuis le sol. C'est une question de choix pendant la taille des oliviers, prochain rendez-vous avec nos arbres qui nous occupera tout le mois de février.
Les olives s'amassent dans nos grands filets comme de petits poissons multicolores. De toutes vertes qu'elles étaient il y a un mois, elles épousent maintenant les couleurs pourpres de l'automne avant de devenir noires.
La pose des filets qu'on déroule en cascade sur les pentes vertigineuses de nos murs en pierres sèches est tout un art qui se transmet ici de mères en filles. Pour couvrir un arbre, il faut un paquet de filets et une savante succession de recouvrements car les olives, rebelles, rebondissent de terrasse en terrasse.
Remonter les filets, trier soigneusement les olives à la main pour en retirer les branches et le plus gros des feuilles, les vider dans des caisses, remonter les caisses de terrasses en terrasses, étendre à nouveau les filets...
Les gestes se répètent un à un avec un seul objectif : amener les olives le plus rapidement possible au moulin. Car c'est cela qui fait la qualité de l'huile. Contrairement à beaucoup qui laissent leurs olives à terre pendant des semaines, nous les portons au moulin dans les 24h à 48h maximum, ce qui écourte le temps d'oxydation. Cela leur permet de conserver toute leur fraîcheur, de révéler pleinement leurs arômes et de préserver leurs précieuses vertus.
Au moulin, c'est encore l'ambiance chaleureuse all'italiana. Pour attendre que nos olives soient transformées en huile, on nous sert du vin rouge maison et de la foccacia préparée par la Mamma du moulinier. Et ça parle cuisine évidemment. De recettes de champignons à l'huile, de pains pétris dans les fonds d'huile d'olive des moulins de l'époque, du goût incomparable d'une pasta asciutta assaisonnée seulement de parmiggiano et d'un filet d'olio.
Et puis, l'huile finit par sortir. Un petit filet timide d'abord. Puis une giclée généreuse vert-dorée qui tourbillonne abondamment.
Et c'est à cet instant précis que tous les allers et venues incessants de la journée prennent sens. C'est l'émotion de voir couler l'huile de nos olives. C'est la fierté de tout ce soin que l'on met pour faire une huile de qualité.
On rentre le corps tout endolori mais heureux à l'idée d'aller se blottir au coin du poêle et de déguster l'huile du jour sur du pain cuit au feu de bois.
A l'inverse du vin qu'il faut faire longtemps fermenter, l'huile n'est jamais aussi bonne que lorsqu'elle vient de sortir du moulin. Et c'est sûrement ce goût incomparable du fruit de notre travail du jour, qui nous fait remettre encore ça demain.
En posant la tête sur l'oreiller, on voit en fermant les yeux, des olives multicolores qui dégringolent au dessus de nos têtes.